LE MAGAZINE PANAFRICAIN DE FOOTBALL

11 juin 2024

/

Par 6lex

Les sorciers blancs sont-ils en danger?

Plusieurs anciens footballeurs et techniciens africains se sont-ils lancé le défi de reconquérir les sélections africaines ? La prise de conscience se généralise. L’époque du sorcier blanc tout puissant sur les bancs africains, si elle n’est pas révolue, semble de plus en plus tangente. Les récents exploits de sélectionneurs africains lors des compétitions internationales en est un baromètre clair.

Il n’est plus bien loin, le temps où les entraîneurs africains ne feront plus de complexe devant leurs homologues des autres continents. Formés dans les mêmes écoles, ils se sentent complètement décomplexés et désormais prêts à endosser de grandes responsabilités sur le continent.

LA FORMATION EN PRIORITÉ

Ayant compris les enjeux, les anciens footballeurs du continent se reconvertissent de plus en plus en entraîneurs. Pour concurrencer leurs collègues européens, ils ont fait le choix d’aller se former dans les mêmes établissements qu’eux. Ils sont nombreux, ces anciens footballeurs qui, après avoir récemment raccroché les crampons, ont misé sur la formation avant d’exercer soit dans des centres de formation soit comme assistants dans certains clubs européens avant d’envisager un retour en Afrique. Ainsi, un joueur comme le Ghanéen, Mikael Essien, s’est lancé dans le coaching alors qu’il était encore joueur. A 40 ans, il possède déjà sa licence UEFA et officie comme entraîneur-adjoint dans le club danois de Nordsjaelland. Autre icone du foot africain désireuse de faire carrière dans ce domaine, c’est l’Ivoirien, Yaya Touré, quadruple Ballon d’Or africain. Passé par des clubs comme Olimpic Dontsk ou encore par Tottenham, Touré est en ce moment assistant-coach au Standard de Liège en Belgique. Sans poste depuis août 2022, le Nigérian Sunday Oliseh, détenteur d’une licence Pro UEFA, a entraîné plusieurs clubs en Europe et a même dirigé la sélection nigériane en 2016. Le Guinéen Pablo Thiam, lui, est plutôt concentré sur les centres de formation en Allemagne, son pays d’adoption.

Narcisse Yaméogo, ex-international burkinabè et aujourd’hui assistant du sélectionneur du Togo Paolo Duarte, estime que rien ne presse. La nouvelle génération d’entraîneurs africains a tout le temps pour pouvoir se former avant de postuler à une équipe nationale : « Il est important d’aller étape par étape. Quand tu finis de jouer et que tu veux devenir entraîneur, je pense que l’apprentissage compte beaucoup. Il ne faut pas penser que le fait d’avoir joué au haut niveau peut immédiatement être un gage pour devenir un grand entraîneur ; non. Je pense qu’il faut repartir à l’école, passer tranquillement ses diplômes et licences, s’affilier à une fédération, comme moi je l’ai fait avec le Portugal. » En effet, si Florent Ibengue, entraîneur du Congo, lui, salue le choix de certains anciens internationaux de se reconvertir en entraîneurs, il les invite néanmoins à ne pas négliger l’étape formation : « Il y en a beaucoup qui sont adjoints, beaucoup se forment. Je pense que c’est la bonne voie. Entraîner est diffèrent de jouer. Donc, même si l’expérience de joueur est importante, la formation l’est tout autant sinon plus, par ce que ce n’est vraiment pas le même métier ». Avis largement partagé par le sélectionneur du Syli National de Guinée, Kaba Diawara : « Encore une fois, le fait que plusieurs d’entre nous, anciens joueurs, commencent à apprendre la profession est une bonne chose. Ils peuvent être encouragés par la réussite de certains, dans différents pays. C’est de bon augure si les présidents de fédération, si les ministères et les présidents de la République s’intéressent à nous. Et je pense qu’il y en aura de plus en plus ». Des conseils qui pourront plus tard servir les clubs africains engagés en Super League africaines, car ces techniciens seront quasiment tous rompus à la tâche pour diriger n’importe quel club africain.

À TRAVAIL ÉGAL, SALAIRE ÉGAL

Aujourd’hui, pour de nombreux optimistes, le traitement salarial, qui jusque-là semblait plus favorable aux techniciens étrangers, pourrait s’équilibrer et sourire aux locaux. Car c’est là où le bât blesse. Avec les bons résultats obtenus tant en clubs qu’en sélections par les techniciens locaux, c’est le poste qui devrait être désormais mis en valeur et non la nationalité de son occupant, pense Ibengue : « Cela fait partie des situations inégalitaires. Normalement, à travail égal, on devrait avoir un salaire égal. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Pourquoi font-ils ce distinguo ? Je peux comprendre, à la limite, le traitement d’un expatrié, puisqu’il a des obligations, la vie à l’étranger, la famille qui est restée en dehors du pays où il exerce parce que souvent, on leur exige d’habiter sur place. Mais, que ce soit un expatrié ou un local, les dirigeants doivent revoir cette situation et l’ajuster. Au-delà du salaire lui-même, il y a aussi les conditions de travail. On accède plus facilement aux desiderata d’un expatrié qu’à ceux d’un local. Je dis non ! Quand l’expatrié a envie de faire un stage, on le lui accorde facilement, alors que c’est compliqué pour le local. Donc ce traitement devrait aussi changer. »

Le consultant Yves Sawadogo propose même des pistes de solutions à la CAF. « Il faudrait que la CAF travaille à élaborer un minimum salarial mensuel pour le poste de sélectionneur, qui pourrait se situer entre 20 et 25 mille dollars. C’est le minimum pour éviter les discriminations. Quand c’est un entraîneur européen, il est payé beaucoup plus et quand c’est un Africain, souvent, c’est comme un SOS. Il faut faire confiance aux entraîneurs africains et surtout bien les traiter. Cependant, il faut éviter de faire croire qu’on ne doit pas tenir compte des entraîneurs européens compétents. Il y en a qui connaissent bien l’Afrique et qui restent des entraîneurs de qualité. Si dans un pays, il n’y a pas le profil d’un ancien footballeur qui a les diplômes requis, aguerri, et qui a de la compétence, on peut faire appel à une expertise européenne, car l’idée n’est pas non plus de fermer la porte aux techniciens européens, mais de faire prendre conscience du potentiel africain qui se développe. » Finalement on se rend compte que les entraîneurs locaux, ne sont pas si dépourvus de talent. Pour preuve, lors de la dernière CAN disputée au Cameroun, on a enregistré 16 sélectionneurs africains sur 24. Et 100% des sélectionneurs qui ont conduit les équipes africaines à la dernière Coupe du Monde, étaient tous Africains. Avec pour particularité le fait d’être tous des anciens footballeurs de haut niveau. Les Aliou Cissé (Sénégal), Kaba Diawara (Guinée), Rigobert Song (Cameroun), Djamel Belmadi (Algérie) et Walid Regragui (Maroc, demi-finaliste de la dernière Coupe du monde), sont les plus beaux fleurons de la caste des sélectionneurs africains issus du cru.

DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTORITÉS SPORTIVES AFRICAINES

En effet, dans le traitement supposé dégradant de certains entraineurs locaux, la responsabilité des autorités sportives africaines est engagée.

C’est l’avis principalement de Florent Ibengue : « Tant mieux, si les dirigeants ont commencé à croire en nous. Je pense que c’était tout d’abord une question de confiance. À Partir du moment où on a commencé à avoir de bons résultats, ça a naturellement ouvert la voie à d’autres, qui se forment de plus en plus. Quand vous regardez les championnats européens, l’exemple typique, c’est le championnat français où la majorité des joueurs sont africains. L’étape qui devait arriver après est d’avoir une majorité d’entraîneurs afri- cains. Ça finira par arriver. »

Mais ce n’est pas le seul problème, estime l’ancien sélectionneur de la RDC. Il déplore le fait que même entre Africains, le choix d’un entraîneur local issu d’un autre pays du continent est rarement admis : « Apparemment les dirigeants sportifs et politiques sont prêts à ne faire confiance qu’à leurs compatriotes. Ils ne font pas encore confiance aux Africains d’autres pays. C’est encore une autre bataille à gagner pour avoir l’égalité. On voit les techniciens étrangers qui arrivent, qui peuvent entraîner une sélection ; une fois virés ou lorsque leur contrat est terminé, ils basculent dans un autre club ou sélection d’un autre pays. Pour l’instant, nous, les Africains, nous entraînons les clubs ou équipes de notre propre pays. Cependant on arrive petit à petit à entraîner dans d’autres pays, donc ça commence à s’ouvrir pour nous ».

Une chose est certaine, les entraîneurs africains veulent désormais être prophètes dans leur continent. Pour peu qu’on leur fasse confiance et qu’on leur donne les moyens de leurs ambitions.

Plus d'articles

Accueil
Nos mags
Compte
Toute l'actu